Le siècle des guerres : Le Château de Versailles à travers les bombes (4)
- Benjamin Lasser
- 22 nov. 2024
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 déc. 2024
Les batailles, les combats, les armes, ce ne sont pas des idées novatrices ou nouvelles dans les dernières années du Second Empire. Depuis que l’homme est homme, il y a toujours eu des affrontements que ce soit entre tribus, entre clans, entre nations ou entre empires. Cependant, la modernisation des techniques de combat et de la façon dont sont menées les guerres va totalement bouleverser la vision que nous avons d’un conflit. Les batailles ne sont plus uniquement menées par des hommes à pied ou à cheval chargeant l’armée adverse. L'artillerie n'est plus composée de quelques canons couvrant l'avancée des hommes. Au début du XXe siècle, l'artillerie prend une place de premier ordre dans le déroulé d’une bataille. L'armement utilisé devient terrifiant pour les soldats adverses : des mortiers, des canons pouvant envoyer des obus à plusieurs kilomètres sont utilisés. Ces batteries peuvent détruire des régiments entiers sans qu’un seul artilleur ne puisse voir les soldats visés. Ce conflit moderne devient dévastateur non seulement pour les soldats, mais également pour les civils et les infrastructures autour du champ de bataille. Et cela va encore s’intensifier quelques années après la Première Guerre mondiale.
Un écrivain italien du nom d’Alfonso Di Lernia écrivait “Au terme de chaque guerre la paix et de chaque paix la guerre.” Le XXe siècle réside en cette phrase. La paix, c’est au moment que les combats cessent que le Château de Versailles va de nouveau s’illuminer et reprendre son rôle historique de premier plan qu’il a pu porter sous Louis XIV ou sous Louis XVI avec la Guerre d’indépendance américaine. Mais pour cela, il faut survivre, le Château va devoir résister à tous les affres de la guerre et ce qui l’accompagne.
La naissance de la IIIème République
Tels des petits cailloux déclenchant une avalanche, la guerre de 1870 entre la France et des États allemands dirigée par la Prusse a entraîné la naissance d’un régime qui dura 70 années. Ce n’est pas par une grande victoire tel Austerlitz ou Iéna qui précéda la création de cette nouvelle république, elle fut l’enfant d’une défaite. La guerre franco-prussienne déclenchée en juillet 1870 ne dura pas plus d’un an, son dernier acte se déroule à Sedan (le 1er septembre) où les chefs des deux armées (Napoléon III pour les Français et le Kaiser pour les Prussiens) se font face. Napoléon III est défait sur le champ de bataille et signe la reddition des armées françaises. Il est fait capturé jusqu’au 19 mars 1871 où il choisit l’exil après sa libération et rejoint l’impératrice Eugénie en Angleterre.
Pendant ce temps, la situation politique française est très complexe. Les troupes prussiennes occupent une partie de la France depuis leur victoire. Versailles est choisi pour devenir le lieu de création d’une nouvelle nation. C’est en France que le vainqueur décide de déclarer officiellement l’union de tous les États germains pour créer la nation avec qui la France va se battre durant deux guerres successives : l'Allemagne.
Le 18 janvier 1871, tous les officiers et les princes allemands sont réunis dans la Galerie des Glaces de Versailles. Seul, le roi Louis II de Bavière est absent de la cérémonie. En leur présence, Guillaume Ier roi de Prusse accepte le titre d'Empereur. Une proclamation est signée et c’est sous les “Vive sa Majesté” de toutes les personnes présentes que l’Empire Allemand voit le jour. Ce fut le premier acte d’une succession d'humiliations qui vont marquer le XXe siècle.
Un autre régime est mis en place, cette fois en France. Après la chute de l'Empire, des députés parisiens tel que Léon Gambetta proclame la République au balcon de l'Hôtel de ville parisien. Une élection est organisée en février 1871, ce sont principalement des élus de la droite monarchiste, bonapartiste et légitimiste qui sont élus. Il désigne comme chef de l'exécutif Adolphe Thiers (1797-1877). Ce n’est qu'avec cette élection que la paix est signée entre les forces prussiennes et françaises en mai 1871.
Les députés à Versailles
La paix signée, les forces prussiennes reculent et libèrent une partie du territoire national. Seulement, une partie de la population est farouchement opposée à cette issue pacifique signée par le gouvernement Thiers. Plusieurs communes entrent alors en révolte ouverte et s'insurgent contre le gouvernement en place. En mars 1871, les députés décident de partir pour Versailles. Ils sont suivis par Adolphe Thiers et ces ministres. Paris se révolte, des barricades sont dressées. Le gouvernement exilé à Versailles réprime l'insurrection parisienne avec le soutien de régiments “versaillais” restés fidèles au gouvernement. L’établissement de l'Assemblée nationale à Versailles devient permanent et dure quelques années. Les députés vont loger au sein du château pendant quelque temps. Chaque ministère occupe un bâtiment. Le ministère de l’Intérieur se tient dans la galerie du roi Louis XIII, Adolphe Thiers quant à lui se fixe à la préfecture de Seine-et-Oise. Les réunions de l’Assemblée sont tenues au sein de l’Opéra royal. En 1875, un hémicycle pour contenir les députés est construit par l’architecte Edmond de Joly.
Ce n’est qu’en janvier 1879 que le gouvernement et les députés quittent Versailles pour revenir dans la capitale française.
En 1887, un nouvel attaché de conservation est nommé, il se nomme Pierre de Nolhac. Il est par la suite nommé conservateur en 1892. C’est cet homme qui est le fondateur du Château de Versailles que nous pouvons visiter aujourd’hui. Après des années d’abandon, où le domaine est ouvert au public sans avoir ni travaux ni réel politique de conservation, Nolhac veut un changement radical pour le palais. Il démantèle peu à peu l’ancien musée historique de Louis-Philippe pour que le Château redevienne ce qu’il fut : un palais de l’Ancien Régime. Il lance une véritable chasse pour retrouver les anciens mobiliers et œuvres que contenait le palais à l’époque des roi Bourbons. Quelques pièces sont retrouvées et organisées en collection. Le château est rouvert au public pour le plus grand plaisir de ces visiteurs. Seulement cette transformation va être freinée par un nouveau conflit cette fois planétaire qui va mettre en péril la survie du château de Versailles : la Première Guerre mondiale.
La Première Guerre mondiale : le Château de Versailles menacé.
Dès juillet 1914, date de l’annonce du début du conflit, Pierre de Nolhac prend la décision de fermer les portes du château. Des soldats de toutes la France viennent pour être envoyés dans leur régiment d’affectation et attendent leur envoi au front. Les grandes places de Versailles devenu ville de garnison sont occupées par du matériel, des chevaux et des soldats en rang prêt pour la bataille. En parallèle, il faut protéger le monument versaillais. Pierre de Nolhac met à l'abri les principales œuvres du château en les envoyant dans des endroits sûrs à l'abri de possible bombardement ainsi que de la possible arrivée des troupes allemandes. Les soldats français sur le front, la vie continue et la population cherche de nouveau la distraction et l’amusement en ces temps de guerre. Dès 1915, Pierre de Nolhac autorise la réouverture du château ainsi que de ses jardins. Seulement quelques pièces du palais royal ne sont pas accessibles, car Nolhac manque cruellement d’agents pour entretenir et s’occuper des lieux. La guerre n’est pas pour autant terminée, les chantiers de protection du château ainsi que de ces œuvres continuent. Des sacs de sable sont posés sur les statues pour les protéger des bombardements, les œuvres sont mises à l’abri.
Les années passent, les affrontements sont d’une férocité sans précédent sur le front de l’Est dans la Marne et aux alentours de Verdun, les morts se comptent par milliers. Le château de Versailles devient alors un refuge pour des soldats ayant le droit de s’éloigner du champ de bataille. De plus, des visiteurs de marque venant du monde entier viennent au château pour visiter les lieux, Pierre de Nolhac fait d'ailleurs lui-même certaines visites. Après des années de lutte, le conflit arrive à son terme, les armées françaises réussissent à l'emporter aux prix de très nombreuses pertes. C’est l'heure de la paix.
Mais surtout comme ce fut le cas lors de la guerre franco-prussienne, l’heure de la signature du traité actant cette paix.
Le Château de Versailles va de nouveau devenir le centre de l’attention durant quelques jours. Le Traité de Versailles est signé le 29 juin 1919 et pas dans n’importe quel endroit du Château, dans la Galerie des Glaces. Ce lieu est fortement symbolique, car 40 ans plus tôt, il avait accueilli les membres de l’aristocratie allemande pour officialiser la création du nouvel Empire allemand. Pour ce nouvel acte fort, tous les Alliés sont présents (France, Italie, Grande-Bretagne, Etats-Unis) et les demandes formulées par les vainqueurs sont lourdes. L'Allemagne doit abandonner l’Alsace-Lorraine et payer une très lourde amende en guise de réparation (20 milliards de marks-or). L’Allemagne a genou ne peut qu’accepter ces conditions et abandonner nombre de ces territoires. C’est la fin de la Première Guerre mondiale. Le traité de Versailles clôtura la Grande Guerre, mais devint également un symbole de rassemblement pour tous les Allemands voulant leur revanche. Les années qui suivent le conflit vont leur en donner l’occasion.
La Seconde Guerre mondiale : les Allemands à Versailles
À la suite de la Grande Guerre, Pierre de Nolhac continue sa mission auprès du Château de Versailles jusqu'en 1920. Plusieurs conservateurs vont lui succéder tel qu'André Pératé (1920-1932), Gaston Brière (1932-1938) et enfin Pierre Ladoué (1938-1941). Ce dernier va nous intéresser tout particulièrement, car c'est lui qui va gérer, protéger et mettre en sécurité les œuvres du Château de Versailles ainsi que son domaine durant les premières années de la Seconde Guerre mondiale.

Dès le début des années 1920, le traité de Versailles devient un sujet qui cristallise l'opinion, Adolf Hitler va construire sa vision politique et son idéologie sur ce refus des clauses du traité. En tant qu’ancien soldat de l’armée allemande durant la Grande Guerre, il met en avant l’idée que le combat aurait pu être gagné et que les clauses dictées par les vainqueurs tuent l’Allemagne à petit feu. L'idéologie du NSDAP (parti d’Adolf Hitler) séduit un grand nombre d’Allemands et mène leur chef Adolf Hitler au pouvoir. Il est nommé chancelier le 30 janvier 1933 par le président Paul von Hindenburg (1847-1934). A Versailles, les tensions entre la France et l'Allemagne grandissant, conduisent à la mise en place de mesures pour protéger le château et les œuvres en cas de guerre. On recherche des châteaux ou bâtiments susceptibles d'accueillir les œuvres.
Malgré quelques tentatives de planification et d'apaisement des tensions, notamment avec les accords de Munich signé le 30 septembre 1938, la guerre arrive. Le 25 août 1939, tous les monuments nationaux français dont Versailles ferment leur porte au public. Le 1er septembre 1939, les forces allemandes entrent en Pologne après avoir pris le territoire des Sudètes. La Seconde Guerre mondiale débute. Après l’invasion de la Pologne qui tombe en quelques semaines, la France et la Grande-Bretagne déclarent à leur tour la guerre à l'Allemagne le 3 septembre. Pendant ce temps, le Château de Versailles se vide peu à peu de toutes ces œuvres et de ces dorures pour laisser place à des sacs de sable ainsi qu’à des mitrailleuses de DCA anti-aérienne. Les œuvres sont envoyées dans des châteaux plus au sud de Versailles. Des palais tels que Chambord, Brissac ou Valençay vont les protéger durant la totalité du conflit. Ils se passent des mois avant que les premiers affrontements entre Français et Allemands arrivent. Le 10 mai 1940, l’état-major allemand débute le plan Jaune. Les forces du Reich passent par la forêt des Ardennes et prennent à revers la totalité des régiments français et britannique posté sur la frontière belge et près de la ligne Maginot. Leur avancée est d’une rapidité folle. En quelques semaines, les troupes alliées sont en déroute. Les agents du château de Versailles partent dès le mois de juin avec leur famille pour le sud (Chambord, Valençay, Brissac,...). Le 14 juin 1940, l'armée allemande entre dans Versailles et n’en ressortira qu’en 1944. La République française sombre avec leurs armées. Philippe Pétain est nommé à la tête du conseil. Le 22 juin 1940, l’Armistice entre les forces françaises et allemandes est signé. Le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs sont donnés au maréchal Pétain, il enterre la République et crée un tout nouvel Etat Français.
Les hommes chargés du fonctionnement du château quittent le château, l’architecte Patrice Bonnet quitte ces fonctions et est remplacé par André Japy. Le conservateur en chef Pierre Ladoué part également en septembre 1940 pour être remplacé par Charles Mauricheau-Beaupré. Durant la totalité du conflit, le château de Versailles est ouvert au public, mais en priorité aux forces allemandes. Il est visité par les soldats, mais également par les gradés des armées du Reich.
La ville de Versailles reste une cité de premier ordre pour l’occupant et pour le gouvernement de l’Etat français. Le 11 novembre 1942, les forces allemandes envahissent la zone libre en réponse à l’opération Torch (débarquement menée par les troupes anglo-américaines en Afrique du Nord). Versailles pendant quelques jours est pressentie pour accueillir le maréchal Pétain et son gouvernement voulant quitter la zone libre et se rapprocher de Paris. Cela ne se fera pas, le gouvernement de l'Etat Français reste à Vichy durant tout le conflit. Le château de Versailles est dans un état inquiétant aux derniers mois du conflit, le manque de chauffage fait exploser les vitrines, le château vidé de la quasi-totalité de ces œuvres. De plus, les bombardements reprennent. Après avoir reçu quelques bombes lors de la campagne de France de 1940, la ville de Versailles est de nouveau la cible des bombardiers. Cette fois, ce sont les Alliés qui envoient leurs avions pour bombarder la ville quelques jours avant le débarquement de Normandie (6 juin 1944). Le 25 août 1944, les forces françaises libres de la 2e division blindée arrivent dans la ville de Versailles pour la libérer, avant de continuer leur route vers Paris. Charles Mauricheau Beaupré à la Libération n’accueille plus de soldats allemands. Ce sont maintenant les forces américaines et britanniques qui deviennent les visiteurs privilégiés du château.
L’état du château demeure pourtant très inquiétant. Ce n’est qu’au printemps de l’année 1946 après de nombreuses rénovations, que les portes du château de Versailles sont de nouveau ouvertes pour le public français et étranger.
L’histoire du Château de Versailles ne s’arrête pas ici, des visiteurs prestigieux sont accueillis dans les salles du palais. Le président de la République jusqu'en 1954 est toujours élu au sein de la cité royale. Les chantiers se succèdent de la fin de la guerre à nos jours pour continuer à embellir ce symbole national. Le Château de Versailles demeure de Louis XIV jusqu’à nos jours l’un des plus grands chefs-d'œuvre de notre histoire. Il est actuellement le second monument le plus visité de France avec 7,3 millions de visiteurs par an. Il reste et restera le joyau de notre patrimoine.
Bibliographie :
BECKER Jean-Jacques, Le Traité de Versailles, Perrin, 2019, 124 pages
BONNOTTE-KHELIL Claire, Versailles 1939-1945: un château dans l’objectif, In Fine éditions d'art, 2023, 128 pages.
BONNOTTE-KHELIL Claire, Le Soleil éclipsé: Le château de Versailles sous l'occupation, Illustrated, 2018, 144 pages.
DE LA VARENDE Jean, Versailles, Bartillat, 2021, 299 pages.
MAYEUR Jean-Michel, La vie politique sous la Troisième République, 1870-1940,
LENTZ Thierry, Napoléon III, la modernité inachevée, Perrin, 2022, 256 pages.
WIEVIORKA Olivier, Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale, Perrin, 2023, 1072 pages.
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